HABITAT - L’habitat contemporain

HABITAT - L’habitat contemporain
HABITAT - L’habitat contemporain

Les besoins en logements neufs ont atteint, en France comme dans de nombreux autres pays, un niveau très élevé, en raison de la convergence de plusieurs facteurs: la vague démographique, le nombre des immeubles vétustes que l’on ne peut plus conserver, le ralentissement de la construction entre les deux guerres mondiales, les priorités accordées à juste titre à la reconstruction de l’appareil de production après la Seconde Guerre mondiale.

Les effectifs de la main-d’œuvre employée à la construction ont tendance à décroître; exposés aux intempéries, les travailleurs du bâtiment exercent un métier inconfortable et souvent sous-rémunéré. Ainsi aux États-Unis, les effectifs travaillant dans le bâtiment (de l’ordre de trois millions) diminuent d’environ 10 p. 100 par an (soit près de 300 000) par décès, retraite, changement d’activités, tandis que la formation des jeunes entrant dans la profession intéresse moins de 20 000 personnes.

Produire plus avec moins de main-d’œuvre exige des méthodes nouvelles. Par ailleurs, la médiocrité du logement paraît insupportable même à ceux dont les ressources sont très modestes. Il importe d’abaisser les coûts de construction ou, tout au moins, d’éviter qu’ils ne croissent plus vite que ne s’améliore le niveau de vie.

Notre conception de l’habitat a évolué. Les exigences de confort se sont accrues, notamment du fait de la détérioration de l’environnement (bruit et pollution). D’autre part, un mode de vie à la fois plus ouvert et plus intime n’établit plus de distinction entre des pièces d’apparat que l’on occupe rarement et qui étaient l’objet de tous les soins et les pièces d’usage dans lesquelles on tient à vivre dans un décor agréable et dans le calme. Les plans de beaucoup de maisons ou d’appartements traditionnels sont aujourd’hui périmés. On examinera dans cet article les types d’habitat les plus importants, les principes qui président à leur construction, les méthodes et les matériaux qui permettent de les réaliser.

1. L’habitat individuel

Le cas le plus simple est celui de l’habitat individuel ou, plus exactement, unifamilial, isolé. Les contraintes imposées à l’architecte sont en ce cas minimales, le voisinage ne suggérant en général qu’assez vaguement des règles esthétiques de compatibilité. De nombreuses maisons traditionnelles sont devenues typiques, caractéristiques le plus souvent d’une région ou d’un pays. Si ces types ont atteint une valeur esthétique indéniable, ils ne constituent cependant pas les solutions techniquement les meilleures: le granit n’est pas un très bon isolant; le grand toit basque tourné vers l’ouest n’est pas parfaitement étanche aux rafales venues du golfe de Gascogne; le chaume normand n’offre guère de sécurité contre l’incendie.

Quelles sont les techniques nouvelles qui permettent une évolution de la maison individuelle? Avant de parler des matériaux, soulignons que les fonctions d’étanchéité et d’isolation sont aujourd’hui bien mieux remplies que par le passé.

L’étanchéité et l’isolation

L’étanchéité a bénéficié de toutes les connaissances relatives aux macromolécules organiques qui ont donné naissance aux matières plastiques. Des feuilles parfaitement étanches et échappant au vieillissement permettent de couvrir des terrasses sans aucune fuite. Les joints de silicone, restant souples et bien adhérents dans un très grand intervalle de températures, permettent de raccorder, en assurant l’étanchéité, des éléments différents qui peuvent jouer légèrement l’un par rapport à l’autre. Enfin, une très grande variété de mastics et de colles, durcissant totalement ou non, se révèlent les compléments indispensables et efficaces de toute construction formée d’éléments standardisés, construits en usine et qui doivent ête accolés sans que subsiste la moindre fente. Si ces matériaux permettent d’envisager des solutions entièrement neuves pour l’habitat, ils peuvent aussi améliorer des constructions classiques; les bardeaux, dits canadiens, formés d’une trame fibreuse – le plus souvent de fibre de verre – imprégnée de liants bitumineux, se mettent en œuvre aisément sur les toitures traditionnelles dont ils respectent même, dans une certaine mesure, l’aspect. D’autre part, à la tôle ondulée – solution techniquement bonne mais esthétiquement médiocre – a été substituée toute une série de profilés métalliques ou plastiques qui offrent les mêmes avantages sans présenter de limitations de longueur et qui sont agréables à l’œil.

Le besoin d’isolation est une caractéristique du monde moderne. Des considérations économiques conduisent à définir l’isolation thermique optimale par la minimisation des dépenses que constituent l’investissement initial et les frais annuels de chauffage; le chauffage électrique par exemple n’est rentable que dans des locaux correctement isolés. Mais l’isolation permet également une modification des volumes de l’habitat; le fait de pouvoir isoler une toiture avec une épaisseur minime de matériaux donne la possibilité de supprimer les plafonds sous toiture et donc les combles de la maison traditionnelle. L’habitat bénéficie alors de volumes qui n’ont plus une forme rectangulaire et qui se prêtent à des modes d’occupation nouveaux et séduisants. Inversement, le fait de savoir isoler correctement un plancher du point de vue thermique permet de dégager la maison du sol et de la construire sur pilotis sans craindre le vent frais qui circule sous sa base.

Outre l’isolation thermique, l’isolation phonique devient de plus en plus indispensable. Il est ici beaucoup plus difficile de définir une «rentabilité»; dans le cas de l’isolation thermique, on peut comparer des investissements et des économies de combustibles, moyennant certains calculs d’actualisation des dépenses; dans le cas de l’isolation phonique, le problème est de définir quel prix l’on accepte de payer pour un confort accru, qui reste très subjectif, bien que les physiologistes aient montré quels avantages l’homme retire du calme amélioré d’un lieu de réflexion ou de repos. Le bruit croissant de l’environnement conduira nécessairement à une amélioration systématique de l’isolation phonique, largement permise aujourd’hui par les matériaux nouveaux.

Ces matériaux sont pour la plupart des produits légers constitués d’alvéoles à parois minces emprisonnant de l’air, soit de matelas de fibres qui empêchent également la circulation de l’air froid. Les mousses plastiques appartiennent à de nombreux types, les plus classiques étant celles de polystyrène (7 à 15 kg/m3), de polyuréthanne (25 kg/m3), de résine phénolique (40 kg/m3). Il existe également des mousses minérales à base de verre dont la densité est de l’ordre de 0,5 et qui peuvent être utilisées comme des briques, car elles sont très résistantes à l’écrasement. Les fibres sont le plus souvent minérales, à base de roches fusibles ou, mieux, de verre. Elles sont extrêmement fines, leur diamètre pouvant descendre jusqu’à quelques microns; elles sont en général liées entre elles par une résine synthétique.

Dans l’ensemble, ces matériaux présentent autant d’intérêt du point de vue thermique que du point de vue phonique. Par contre, dans le domaine des vitrages, l’économie thermique conduit à choisir de préférence des vitrages multiples, tandis que la protection contre le bruit fait appel plutôt à des glaces épaisses, ces solutions pouvant être combinées en pratique.

Les matériaux de construction

Le bois

Il peut paraître paradoxal de considérer le bois comme un matériau moderne; pourtant, les procédés d’imprégnation tout autant que l’invention de vernis protecteurs particulièrement efficaces lui donnent un regain d’intérêt qui doit le faire considérer en fait comme un matériau nouveau. Ceci est particulièrement vrai pour les bois imprégnés de molécules organiques polymérisables sous l’action de rayonnements nucléaires, qui présentent des tenues aux intempéries absolument remarquables, ainsi que pour toutes les variétés de panneaux contre-plaqués, lattés ou agglomérés selon les techniques rendues possibles par l’apparition d’adhésifs aux qualités exceptionnelles.

La maison de bois est, aux États-Unis, une des plus classiques et compte parmi les moins chères, tout en étant agréable à habiter. Un problème se pose cependant: les bois constituants doivent être «travaillables» dans de bonnes conditions industrielles, ce qui exclut au moins en partie l’emploi de beaucoup d’essences traditionnelles trop riches en nœuds ou impropres au déroulage. À côté des bois tropicaux bien connus, il faut citer le développement croissant des bois d’Amérique du Nord, notamment du pin d’Oregon et du cèdre rouge des montagnes Rocheuses.

La maison de bois peut s’affirmer comme telle et revêtir l’esthétique du chalet de montagne de la maison forestière ou du chalet canadien, mais elle peut aussi dissimuler ses matériaux sous des revêtements variés: c’est le cas de la plupart des maisons des États-Unis, que le touriste français croit généralement construites en pierre.

Le ciment

Le ciment est lui aussi un matériau traditionnel, mais d’énormes progrès ont été accomplis quant à sa résistance mécanique, à son aspect extérieur (grain et couleur notamment) et à son pouvoir isolant (béton-mousse, béton aéré ou béton chargé d’argiles ou de schistes expansés). Ces améliorations ont permis d’envisager une préfabrication lourde de cellules entières comportant les parois, le plancher et le plafond, construites et équipées en usine et accolées sur place les unes aux autres avec interposition d’une épaisseur isolante.

Mais l’industrialisation ne va pas toujours jusqu’au bout de sa logique et, pour des raisons diverses, un souci de variété notamment, on préfère parfois se borner à l’assemblage d’éléments préfabriqués comportant portes, fenêtres, une bonne partie des tuyauteries et des câbles électriques, etc.; dans ce cas, le problème d’étanchéité à la jonction de deux éléments est plus grave: il est résolu presque toujours par un joint plastique, un vide de décompression et une liaison par coulée de béton.

Les métaux

Inspirées de la fabrication des automobiles, les techniques de construction des mobilhomes des États-Unis offrent des logements de dimensions réduites mais très confortables. L’emploi de tôles nervurées agrafées, doublées d’isolants, est économique. En fait ce sont les progrès de l’isolation qui permettent le développement des éléments métalliques d’acier ou d’aluminium; ceux-ci se prêtent bien à la fabrication industrialisée et se transportent plus aisément que les éléments de béton. Par jumelage de deux unités mobiles, on obtient à bas prix des logements agréables dont la surface peut atteindre 80 m2. Les avantages financiers dont bénéficie aux États-Unis la maison mobile ont entraîné son rapide développement: en 1968, 90 p. 100 des logements individuels coûtant moins de quinze mille dollars ont été réalisés suivant ce principe. Certains croient que ces avantages sont exorbitants et qu’ils disparaîtront; ces maisons mobiles, destinées au début à permettre de grands déplacements de main-d’œuvre, n’ont gardé de leur mobilité que le nom; elles ne sont plus déplaçables qu’exceptionnellement, mais à vrai dire sans grands frais. On découvre alors un nouvel intérêt pour ce type de construction: leur emprise au sol n’est pas définitive; la présence dans une agglomération de zones occupées par les logements «déplaçables» permet sans frais d’expropriation prohibitifs de remodeler le quartier quand cela devient nécessaire. Or le caractère évolutif des villes a été largement atténué, voire supprimé, par les constructions de grands immeubles fixes; l’intérêt de le conserver grâce au principe de la maison mobile est évident; cet intérêt, plus que la mobilité elle-même, justifiera dans l’avenir la conservation de certains privilèges à ce type de construction.

Il n’y a pas de raison de limiter l’application du principe de mobilité à des maisons sans étage. Le mobil-home empilable fait aujourd’hui son apparition et des solutions intelligentes ont été proposées pour l’assemblage des unités composantes; on peut même à la limite envisager l’emploi de telles unités comme éléments venant s’insérer dans une carcasse fixe géante dans laquelle ils seraient accueillis en quelque sorte à la manière d’un tiroir. Il ne s’agit plus ici de véritable mobilité, mais simplement d’assurer la variété d’un habitat sur des sols artificiels superposés.

Les plastiques

Les plastiques, famille de matériaux non traditionnels, occupent une place croissante dans le bâtiment, soit sous forme de revêtements ou d’accessoires extrêmement variés (du luminaire aux diverses installations techniques), soit même comme éléments de structure, seul point qui sera exposé ici. Des parois peuvent être réalisées sous la forme de deux feuilles minces de plastique enserrant une mousse isolante. Les éléments ainsi préfabriqués en usine sont livrés sur le chantier aux dimensions exactes des parties de façade ou de cloison à occuper et peuvent comporter les portes, les fenêtres et même l’équipement électrique. Les plastiques les plus utilisés pour réaliser les couches externes de ces éléments sont à base de polychlorure de vinyle, de polyester ou de copolymères, tels les ABS (acrylonitrile, butadiène, styrène). Le problème économique posé par cette solution est le suivant: ces éléments apportent un confort accru (isolation parfaite), une plus grande facilité d’entretien et de mise en œuvre, mais ces avantages sont difficiles à chiffrer. Or les coûts de fabrication à l’échelle artisanale sont en général supérieurs à celui d’une réalisation traditionnelle; en revanche, cette solution serait moins chère une fois lancée en grande série, ce qui implique des investissements et des risques. Ainsi, les solutions qui font appel aux plastiques se heurtent à une difficulté d’organisation de la production et de prévision de la réponse du marché ce qui explique, mais n’excuse pas, une certaine lenteur de pénétration dans l’habitat contemporain.

D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure les formes traditionnelles d’habitat sont les mieux adaptées à l’utilisation des plastiques. Ceux-ci, et notamment les polyesters, se prêtent particulièrement bien à la réalisation de coquilles de formes relativement complexes, dont certaines ont été récemment commercialisées. L’aspect nouveau de cet habitat a pu déconcerter, mais les avantages qu’il présente, notamment sur le plan de la vitesse d’installation (quelques jours) et sur celui de la facilité d’entretien, devraient lui assurer un succès d’autant plus certain que l’art contemporain a, dans une certaine mesure, rompu notre attachement pour les lignes droites.

2. L’habitat collectif

L’habitat individuel groupé

En pratique, la maison individuelle uni-familiale ne dispose pas souvent d’un terrain suffisamment grand pour être complètement isolée de ses voisines; le plus souvent des groupements denses sont réalisés, comportant au moins un et en général deux murs mitoyens. Lorsque ce groupement est construit d’une seule volée, des économies importantes sont réalisées. La technique de ces groupements a fait de très grands progrès; le plus traditionnel (groupement en ligne avec jardinet devant la maison et donnant sur la rue, et pelouse plus calme derrière) cède la place à des configurations souvent plus denses mais ménageant au moins aussi bien notre intimité grâce à l’apparition de patios privés entre les maisons. Certaines dispositions se prêtent d’ailleurs à l’installation de véritables galeries pour la distribution des fluides. Cependant, de tels groupements ne permettent jamais une densité très élevée de population; les habitants se trouvent de ce fait plus ou moins éloignés des lieux collectifs de fréquentation courante (magasins, poste, école). Les avantages de la campagne disparaissent sans que ceux de la ville les remplacent, et ceci conduit logiquement aux empilements denses d’unités d’habitations, c’est-à-dire aux grands immeubles.

Les grands immeubles

Bien que ce phénomène ne soit pas en général perçu par les citadins, les techniques modernes permettent une construction beaucoup plus rapide et plus économique des grands immeubles. Les progrès concernant les matériaux ont été ici aussi un facteur important, mais l’amélioration des techniques d’organisation des chantiers y a joué également un rôle de premier plan. Le chantier devient en fait une véritable usine de fabrication d’éléments, puis de montage, qui applique les méthodes les plus évoluées de la recherche opérationnelle. Certains procédés de construction ont été inventés essentiellement pour se plier à ces aspects modernes de l’organisation du travail.

On peut aller encore plus loin en essayant de construire le maximum d’éléments en usine, d’où ils sont acheminés sur le chantier qui n’est plus alors qu’un lieu de montage. Cette préfabrication industrielle offre de grands avantages, même compte tenu des frais de transport. Quelques efforts ont tendu à fabriquer en usine des unités complètes que l’on apporte sur le chantier et que l’on superpose tout en assurant leur liaison. Cette solution limite ne s’est pas encore généralisée, mais elle fait actuellement l’objet de nombreuses recherches, qu’il s’agisse de préfabrication lourde en béton ou de préfabrication plus légère utilisant les métaux et les plastiques. Cependant la fabrication en usine d’éléments de façade ou de contreventements de taille considérable est très largement répandue, ainsi que celle d’éléments plus réduits tels que les portes ou les fenêtres munies de tous leurs cadres en bois, en acier ou en béton. Les murs-rideaux, éléments de façade légers utilisant toutes les ressources des matériaux modernes (aluminium, verre, plastique) sont le complément quasi idéal des grandes structures en acier à haute résistance qui s’élèvent rapidement comme une construction d’enfant.

La répétition d’un grand nombre d’éléments de façade identiques risque d’engendrer une certaine monotonie. L’art de l’architecte vise à l’éviter. La première solution, et la plus banale, accepte le caractère répétitif élémentaire mais le rend supportable par l’harmonie du dessin des vides et des pleins de chaque élément. Une seconde solution, plus évoluée, fait apparaître un dessin de façade plus complexe en jouant sur les vides et les pleins de plusieurs éléments appartenant à des étages successifs. D’autres solutions, plus coûteuses, évitent la planéité des façades en les modelant en zigzag, en créant des reliefs par décrochements de certains éléments ou grâce à des saillies aux courbes plus ou moins heureuses; à ce groupe se rattache l’utilisation des balcons.

Des réalisations beaucoup plus ambitieuses, mais aussi plus coûteuses, sont envisagées. Leur but est de donner l’impression à chaque habitant d’un grand immeuble qu’il vit dans une maison de caractère individuel; d’où la naissance d’une géométrie spatiale complexe, dont un modèle a été fourni par «Habitat 67» à l’exposition de Montréal. Il s’agit en fait de véritables unités individuelles préfabriquées et suspendues à une structure très lourde en béton armé. Chaque unité d’habitation possède ses propres reliefs et décrochements et utilise le toit de l’unité situé au-dessous d’elle comme jardin suspendu; c’est là une solution extrême, qui appartient à la vaste famille des immeubles en pyramide ou en cratère. La caractéristique de ces réalisations est l’existence de volumes importants au cœur de l’édifice qui, dans le modèle de Montréal, ont accès à l’air libre et servent de lieux de rencontres et de communications, et qui, dans les types moins évolués, sont obscurs et climatisés; ils abritent alors des garages, des services publics et éventuellement des commerces. Ce type de construction comporte une limitation en hauteur, car au-delà de huit à dix étages, les volumes intérieurs deviendraient trop importants par rapport aux volumes réellement habitables.

Depuis peu, enfin, des équipes d’architectes proposent de redonner à chaque élément d’habitation une indépendance totale vis-à-vis de ses voisins inclus dans le même immeuble. Celui-ci devient une simple succession de planchers libres sur lesquels chacun vient monter sa propre structure légère, à condition de se soumettre à quelques règles élémentaires destinées à maintenir un minimum d’harmonie. Ce n’est encore qu’un rêve de dessinateur, mais les études en cours montrent que cette solution n’est pas utopique

Habitat ou machine à vivre

Dans quelle mesure ces empilements denses de logements remplissent-ils leur rôle? Pour des raisons qui tiennent, selon les pays, aux destructions de la guerre, à la croissance démographique ou à l’existence de nombreux revenus encore trop faibles, beaucoup des immeubles construits récemment ont visé avant tout à l’économie. Ils sont certes bien adaptés à la vie de tous les jours – souvent bien mieux que des immeubles anciens plus luxueux; ils permettent de manger, de dormir, de se laver, etc., avec un confort suffisant; mais, contrairement à la maison individuelle, ils ne disposent d’aucun espace annexe extérieur et de ce fait sont parfois ressentis comme des «machines à vivre» et non pas comme un habitat complet. Pour remédier à cette situation, il convient de faire intervenir deux critères importants: le caractère privé de ces locaux supplémentaires et leur durée d’occupation. L’impossibilité de recevoir un groupe important d’amis dans un appartement standard peut être facilement évitée par la création d’une grande salle que l’on peut louer de temps en temps, et qui, par sa proximité dans l’immeuble permet d’utiliser les ressources de l’équipement ménager de l’appartement. Les critères sont ici le besoin d’occuper sous forme strictement privée, mais temporairement, un local qui de ce fait peut servir à bien d’autres. Inversement, les salles pour réunions de jeunes ou pour le bricolage présenteront un caractère nettement moins privé et pourront être conçues différemment.

Ainsi, une conception plus large des fonctions de l’habitat conduit à des solutions efficaces et qui, en fait, ne sont pas très coûteuses compte tenu du service rendu.

Les grands immeubles modernes et les ensembles qui en sont constitués présentent cependant un défaut majeur auquel il n’a pas encore été remédié: ils ne sont pas évolutifs et ne se prêtent pas aisément à la construction d’éléments nouveaux qui se révéleraient indispensables pour l’agrément d’un quartier. Un village se structurait autrefois par remplacement progressif de certaines unités d’habitations; mais il est exclu dans un grand ensemble de détruire un immeuble si l’on s’aperçoit qu’on a besoin de la place qu’il occupe. On devra donc conserver assez de souplesse dans la construction d’un quartier pour lui incorporer les éléments fonctionnels qui ne peuvent être dissociés de l’habitat proprement dit. L’humanité ressent le besoin de lieux de rencontres, de flânerie, de salles de réunions, et ceci au moment où la ville n’en offre pas toujours sous une forme satisfaisante. Il semble que l’on ait quelque peine aujourd’hui à distinguer les besoins strictement localisés au voisinage même de l’habitat de ceux que la ville doit satisfaire à son échelle. Cette notion élargie de l’habitat n’a pas encore prévalu, et celui-ci mérite trop souvent encore sa désignation de machine à vivre. Les solutions sont pourtant relativement aisées: on peut citer pour mémoire celle qui consiste à laisser des espaces libres, dont une partie au moins pourrait être consacrée à de petites constructions ultérieures, éventuellement légères et provisoires. Il faut en revanche insister sur une des autres solutions qui sera probablement exigée prochainement par l’opinion publique: les rez-de-chaussée ne devraient en aucun cas être affectés aux logements; ils constitueraient seulement des volumes abrités de circulation et de rencontre, tout en se prêtant également en partie à des constructions légères permettant de réaliser tous les éléments fonctionnels d’une vie moderne plus riche, exigeant des prolongements multiples à l’habitat au sens strict. Cela redonnerait aux quartiers une structure «poreuse», offrant à «l’homme à pied» la possibilité de rencontrer ses amis tout en circulant à travers les «blocs», alors que ceux-ci actuellement sont pour lui une barrière infranchissable qui le rejette sur le mince trottoir séparant l’habitat de la circulation.

Il est évident que cette notion élargie d’habitat rejoint celle de l’urbanisme, rubrique à laquelle le lecteur pourra se reporter.

3. Regards sur l’avenir

L’utopie et le futur

L’envahissement progressif de grands espaces libres par d’innombrables constructions suscite chez beaucoup d’urbanistes l’idée de villes entièrement en hauteur n’occupant qu’une très faible surface au sol. C’est ainsi qu’un projet italien (de Loris Rossi et Donatella Mazzoneli) étudie les conditions de réalisation d’une véritable ville en forme de plaque d’un kilomètre de long, 800 m de haut, 150 m de large à la base et 20 au sommet, l’ensemble pouvant abriter 250 000 habitants et leur permettre toutes leurs activités. La disposition des divers éléments d’une ville dans ce volume a été très étudiée, et la transposition dans le plan vertical d’activités qui se déroulent habituellement dans le plan horizontal ne paraît pas entraîner de grosses difficultés. Il se pose évidemment un problème de coût, d’où le caractère utopique du projet. Les problèmes techniques sont pratiquement tous solubles, sauf un: sous l’influence du vent ou des dilatations, le sommet de l’édifice «ville» peut se déplacer d’environ soixante centimètres. Comment réagirait l’organisme à cette situation? N’aurait-il pas le mal de mer?

De nombreuses autres solutions ont été proposées pour profiter au maximum de la troisième dimension: assez proches les unes des autres, elles mettent évidemment l’accent sur les problèmes de circulation verticale, horizontale et éventuellement oblique. D’autres chercheurs orientent leur réflexion vers l’utilisation de la surface des océans. C’est l’«île à hélice» de Jules Verne qui reparaît; en fait, il existe certainement de nombreux cas où une ville sur l’eau apporte des avantages, ne serait-ce que pour ce qui concerne la déformabilité du réseau de circulation. Des solutions de ce type avec des immeubles de hauteurs relativement grandes (30 m par exemple) ont été proposées pour un certain nombre de baies, celle de Rio notamment. Cette même ville a suggéré une autre idée: celle de suspendre l’habitat aux parois mêmes des reliefs volcaniques qui la parsèment. Cette formule d’habitat pariétal présente dans certaines conditions géographiques particulières un intérêt certain.

La démarche utopique de certains architectes mérite l’attention: elle libère l’imagination du souci des prix de revient et des matériaux et, en même temps, permet de laisser libre cours à nos désirs. Ainsi émergent des idées neuves, en général irréalisables, mais dont une recherche ultérieure peut permettre la concrétisation. Cette démarche constitue une méthode de découverte, mais en aucun cas elle ne doit être confondue avec l’étape finale du travail, qui est la définition d’un objet nouveau constructible.

Pour une politique de l’habitat

Une politique de l’habitat nécessite une information correcte sur la structure des logements existants et sur la nature des besoins. Les statistiques sont parfois trompeuses: évaluer l’activité de construction en nombre de logements mais en négligeant celui de leurs pièces donne une idée fausse du confort réel dont bénéficient les habitants. Au perfectionnement de l’outil statistique doit correspondre une amélioration parallèle de l’analyse de la solvabilité des besoins, et une société moderne cherchera probablement à agir, non plus au niveau de l’habitat par des primes diverses, mais au niveau des revenus par une plus juste répartition.

Un autre aspect de cette politique est de favoriser la recherche de solutions nouvelles. L’emploi des plastiques à l’échelle artisanale coûte presque toujours plus cher (20 à 30 p. 100) que les réalisations traditionnelles mais, inversement, il permet des économies du même ordre de grandeur une fois les fabrications industrialisées. Toutefois le passage de l’artisanat à l’industrialisation suppose une prise de risques, qu’il faut faciliter soit par des aides remboursables en cas de succès, soit par l’attribution de chantiers importants à l’équipe qui apporterait une solution neuve.

Un dernier aspect de cette politique consiste à susciter un très grand nombre d’idées: à cet égard, des appels d’offre à deux niveaux – qui se pratiquent dans certains pays, notamment en Suisse ou aux ÉtatsUnis – sont heureux. Dans une première étape, les dossiers sont sélectionnés sur la valeur des idées qu’ils proposent, en tenant compte bien entendu des possibilités de réalisation; cela n’entraîne que peu de frais pour les soumettants. Dans une deuxième étape, ceux qui ont été retenus engagent les frais d’une étude beaucoup plus détaillée, avec remboursement au moins partiel.

On peut imaginer bien d’autres solutions; ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est, par le jeu de structures trop rigides, de n’appeler en concurrence qu’un nombre limité d’équipes ayant déjà fait leurs preuves.

En fait, dans tous les pays, l’habitat a fait de grands progrès; si un mécontentement subsiste, il porte essentiellement sur deux points: le coût de réalisation – et l’on ne mesure pas toujours combien il a diminué à confort égal – et le mode de liaison de l’habitat avec la ville par l’intermédiaire de prolongements extérieurs aux logements. La « spéculation » sur les terrains est un autre aspect du déséquilibre entre l’offre et la demande: la limiter suppose un effort d’établissement d’infrastructures nouvelles. L’expérience montre que le fait de bloquer les prix des zones déterminées (Z.U.P. et Z.A.D. en France) augmente la spéculation à leur voisinage. La solution des maisons déplaçables, si on l’autorisait provisoirement dans ces zones, serait peut-être de nature à diminuer la pression de la demande. C’est un des cas où la technologie de l’habitat réagit sur des problèmes qui lui sont extérieurs.

4. Un habitat pour l’homme d’aujourd’hui

Le mot «habitat» n’a pas d’équivalent exact dans toutes les langues et sa définition soulève en France des discussions byzantines.

Le Conseil économique a demandé en 1949 à l’architecte Le Corbusier de faire une proposition pour une «charte d’habitat». Or c’est la notion d’habitation, et non celle d’habitat vu comme un environnement de la vie, que Le Corbusier a placée au centre de son rapport. Le IXe Congrès international d’architecture moderne (C.I.A.M.), réuni en 1955 à Aix-en-Provence avait également comme but la création d’une «charte d’habitat». Malgré de longues discussions, les nombreux architectes venus du monde entier se sont trouvés dans l’impossibilité de clarifier la notion d’habitat par rapport à celle d’habitation. L’habitat était considéré comme une habitation totale, c’est-à-dire «le logis» et ses «prolongements».

L’étymologie latine du terme français (habitatum , de habitare , vivre, tenir) ne trouve dans les autres langues que des similitudes approximatives: en grec 礼晴﨑晴靖猪礼﨟, en allemand das Wohnen , en anglais housing , etc. Le mot «habitat» fut d’abord utilisé pour désigner «un lieu spécialement habité par une espèce végétale; on l’applique aussi aux animaux et à l’homme considérés selon les diverses races» (Littré), c’est-à-dire pour désigner une «aire habitée» par une espèce ou un groupe d’espèces animales ou végétales.

Pourtant généralement, au centre de la notion d’habitat se trouve l’homme lui-même et son toit-abri, ce qui amène continuellement à confondre l’habitation ou le groupe d’habitations avec l’habitat au sens le plus large du terme. L’habitat n’est pas qu’un toit-abri, foyer ou logis, mais un ensemble socialement organisé. Il permet à l’homme de satisfaire ses besoins physiologiques, spirituels et affectifs; il le protège des éléments hostiles et étrangers. Il lui assure son épanouissement vital. L’habitat intègre la vie individuelle et familiale dans les manifestations de la vie sociale et collective.

De plus en plus la notion d’habitat prend un sens écologique: l’habitat devient avant tout «l’environnement où les hommes vivent»: vivre seul et vivre en société.

L’habitat comme totalité

Habitat et urbanisme

Les quatre fonctions bases de l’urbanisme (d’après la charte d’Athènes des Congrès internationaux d’architecture moderne, 1933) – habiter, travailler, cultiver son corps et son esprit, circuler – s’entremêlent et se confondent dans l’habitat, et la complexité de leurs relations et interrelations le caractérise, le spécifie et l’identifie.

Par exemple l’habitude de distinguer l’«habitat individuel» de l’«habitat collectif» n’a aucun sens. L’habitat est toujours collectif par opposition à l’habitation, qui doit toujours être individuelle et familiale. Si l’on compare deux extrêmes, les habitations dans l’«unité de grandeur conforme», suivant la conception de Le Corbusier pour sa Ville radieuse (par exemple, l’immeuble collectif Le Corbusier à Marseille), sont certainement beaucoup plus individuelles que n’importe quel pavillon de banlieue des grandes villes. La proposition de Le Corbusier crée une conception sociale de l’habitat; à l’opposé, l’habitat dit «individuel» provoque la destruction de l’habitat.

L’habitat spécifique

La prédominance de telle ou telle donnée spécifie l’habitat et montre la diversité de ses aspects écologiques.

L’élément climatique permet de distinguer par exemple l’habitat tropical de l’habitat polaire. Les données surtout géographiques différencient l’habitat steppique du sylvain, du lacustre, de l’alpin. C’est la géologie qui conditionne l’habitat rupestre, souterrain ou troglodyte. Mais d’autres données interviennent, ethniques , religieuses ou raciales : ainsi distingue-t-on l’habitat musulman, israélite, gitan, indo-européen, nomade; l’habitat indigène et l’habitat européen dans les anciennes colonies. La chronologie historique classe également l’habitat en grandes familles: habitat préhistorique, antique, féodal, moderne.

L’habitat et le cadre social

Cependant les données sociales, politiques et économiques posent les vrais problèmes de l’habitat à notre époque. Les formes, les types et les structures changent suivant qu’il s’agit d’un habitat pour les ouvriers de la périphérie des villes industrielles ou pour les agriculteurs de champs fertiles ou des terres stériles. La même opposition se retrouve dans les villes entre l’habitat bourgeois ou de luxe et les quartiers populaires vétustes et insalubres.

La création récente des grands ensembles périphériques à loyers modérés et des logements économiques se trouve en désaccord avec l’environnement préexistant de l’habitat semi-urbain et pavillonnaire; et, à une échelle encore plus vaste, l’équilibre est loin d’être réalisé entre l’habitat des familles des pays riches industrialisés et développés et l’habitat de l’immensité du Tiers Monde d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Rôle prédominant de l’habitat dans les conditions contemporaines

L’habitat dans son sens écologique le plus large, c’est-à-dire «l’environnement total dans lequel l’homme vit», est un des problèmes majeurs de notre époque.

Si les tours de Babylone expriment la société des rois conquérants, les pyramides d’Égypte la conception du pharaon-dieu, l’Acropole l’apogée de la pensée humaine, pure création d’esprit, les cathédrales du Moyen Âge l’emprise de Dieu, les palais de la Renaissance la libre puissance des princes, aujourd’hui c’est surtout l’habitat qui exprime notre société, société d’hommes qui ne sont ni rois, ni dieux, mais tout simplement des hommes, tout-puissants par leur nombre, dans une société «du plus grand nombre».

L’«habitat du plus grand nombre», notion sans échelle, implique une manière originale de penser. Les chiffres sont remplacés par des faits: blanc, noir, jaune; froid, tempéré, chaud; pauvres, riches.

L’habitat du plus grand nombre intéresse l’humanité entière, alors que l’habitat d’hier ne concernait que quelques-uns. Le progrès technique, les luttes sociales, les guerres ont bouleversé totalement au XXe siècle la hiérarchie des valeurs. Limites, frontières, distances ont perdu leur importance, voire leur signification. La croissance du monde est universelle; les mêmes besoins, droits et devoirs se présentent simultanément en Afrique, en Chine, en U.R.S.S., en Europe, en Amérique. L’homme occupe de plus en plus la surface du globe, l’homme aura besoin de plus de kilomètres carrés, de plus de kilowatts-heures pour vivre et s’épanouir. Les villages deviennent villes et les villes régions, qui s’incorporent à leur tour dans d’autres régions plus grandes encore. Sous l’influence de ces différents facteurs, l’habitat change complètement. La manière de penser, l’urbanisme et l’architecture, la technologie et les techniciens sont en plein renouvellement.

Habitat et habitation

Les changements constants de l’habitat influencent directement la forme, l’expression et la structure de l’habitation de l’homme.

L’habitation est l’élément prédominant de l’habitat. Son aspect spécifique l’identifie. La notion d’habitation prend des expressions diversifiées:

– Habitation, maison, domicile, résidence, appartement, villa; pavillon, hôtel particulier ou cellule habitable dans un complexe collectif.

– Logis, demeure, abri, feu, foyer, toit, gîte, refuge, case, cahute ou baraque d’un bidonville.

– Chambre d’hôtel, meublé, maison de week-end ou résidence secondaire.

– Chalet, ferme, moulin, hameau, mas, igloo, tente ou roulotte.

Ces formes différentes, conséquence de l’environnement social et biogéographique, ont le même dénominateur commun: «L’habitation, c’est l’espace architectonique destiné à une unité familiale.»

Des millions d’habitations ont été construites partout dans le monde ces dernières années et l’ensemble de ces réalisations est caractérisé par un formalisme absurde. Sous l’influence des besoins urgents et devant l’immensité des demandes, les réalisations actuelles sont encadrées par une discipline de règlements, de normes et de recettes.

Les habitations groupées dans les immeubles de quatre ou cinq niveaux, dans les immeubles-tours (ronds, carrés, rectangulaires), envahissent et déforment les structures urbaines préexistantes, créant un habitat «péjoratif» totalement coupé du passé, incapable d’assumer les conditions de la vie actuelle et surtout impuissant à annoncer ce qui sera créé demain.

Les normes spatiales, les règlements fonctionnels, les équipements standardisés, la technologie exagérée appliquée à l’infini, les éléments identiques uniformisent l’aspect et la structure des habitations, morcellent leur intérieur d’une façon arbitraire et provoquent une ambiance décevante sans chaleur et hors d’échelle humaine.

Cette discipline de règlements détruit la personnalité de l’habitation et diminue l’action sociale de l’habitat. Le Corbusier précise dans la description de son «Unité de grandeur conforme»: «J’installe donc le logis au cœur du binôme «individuel + collectif» et, la liberté individuelle étant assurée par le logis, j’organise tout ce que le collectif peut apporter.»

Comment peut-on assurer la liberté familiale dans le concept de l’organisation collective, voilà le problème que pose la conception de l’habitation dans notre société pour le plus grand nombre.

L’habitation, espace architectonique de la liberté familiale

Assurer la liberté familiale dans l’habitat d’aujourd’hui, c’est repenser le problème dans son ensemble, rechercher des solutions entièrement nouvelles qui peuvent aider les gens à s’adapter aux conditions changeantes de notre époque; c’est aussi trouver des solutions qui sauvegardent l’identité et les responsabilités des individus et des familles, et leur donnent la possibilité de créer leurs propres logis, suivant leurs réels besoins spirituels et matériels.

Dans ces habitations, le contenant – le logis – doit être en harmonie avec le contenu – la famille et sa façon de vivre. Mais la façon de vivre des gens est conditionnée par des facteurs qui sont déterminés, permanents et universels, et d’autres qui sont indéterminés, constamment changeants (temps) et différents suivant les milieux sociaux et naturels (lieu). Les facteurs déterminés, permanents et universels assurent la continuité; les facteurs indéterminés constamment changeants et spécifiques expriment la mobilité.

Continuité

«Les vingt-quatre heures solaires sont l’événement fondamental qui rythme la vie des hommes, alternance quotidienne de nuit et de jour», a écrit Le Corbusier.

La vie des hommes à travers les âges a un aspect de continuité. Les mêmes besoins fondamentaux, hier, aujourd’hui et demain, pour tous sans exception, font apparaître certaines notions stables: l’habitation-abri pour se protéger du froid, de la chaleur, des intempéries, des bruits; l’habitation-nature pour s’assurer du soleil, de l’espace, de la verdure; enfin l’habitation-feu ou foyer pour s’alimenter, se soigner, s’isoler, se reposer, se réunir.

L’homme toujours et partout a besoin de tant de mètres carrés de surface, de tant de mètres cubes de volume. Il a besoin de telle température, de telles installations sanitaires et autres équipements. Tout homme a le droit de satisfaire ces besoins, et c’est la science de la vie, la biologie, qui doit déterminer les normes exactes, précises et indiscutables.

Une normalisation, la vraie (rendre les choses normales), ouvre la porte aux standards, à la production en série, à l’industrie, pour arriver à la qualité, pour lutter contre la pénurie et les surplus. Les vingt-quatre heures solaires qui rythment la vie des hommes assurent la continuité des habitudes et des fonctions essentielles. Mais si on peut déterminer ce qui est commun à tout homme, il est impossible de saisir ce qui est particulier à chacun. Les habitations des familles ne doivent pas seulement assurer les besoins déterminés, mais aussi permettre aux hommes d’être vraiment chez eux.

Dans les habitations, il est donc impossible de normaliser l’organisation des espaces, la séparation des fonctions, l’interpénétration de l’intérieur à l’extérieur, la conception spirituelle et plastique, le besoin de changement, d’addition et d’amélioration. Ce sont des conceptions indéterminées, non normalisables, particulières à chacun. De telles notions assurent la liberté familiale qui détermine la personnalité et l’identité des familles.

S’il faut s’assurer les besoins déterminés, permanents et indiscutables, il faut également laisser aux hommes la possibilité de créer leur propre logis, c’est-à-dire d’être eux-mêmes leur propre architecte. Donc, l’architecte doit savoir s’arrêter et laisser la place à son client qui, mieux que personne, peut définir la forme qui lui convient, le logis où il se sent chez lui.

Mobilité

La vie familiale est intégrée dans le milieu social et collectif, dont la mobilité et la croissance sont en évolution permanente.

L’homme se trouve alternativement dans son monde personnel (habitation) et dans le milieu social où il est intégré (habitat). Le milieu social extérieur influence sans cesse l’habitation des hommes. La réalité collective pénètre, transforme, change, caractérise l’espace familial.

L’habitation dans l’organisation collective suit les cycles de la conception et de l’élimination: l’homme doit de plus en plus oublier la notion de «maison familiale pour toute la vie» et adopter celle d’habitation utile et flexible qui changera au cours de son existence. Selon Le Corbusier, «l’homme urbanisé sera un nomade».

L’homme d’aujourd’hui occupe de plus en plus la surface du globe pour vivre, pour circuler, pour se distraire, pour s’instruire. Il a besoin dans son logis de plus en plus de produits manufacturés: vêtements, livres, instruments et machines, et la durée d’utilisation de ces produits devient de plus en plus réduite. Par exemple, le gramophone de naguère a cédé la place à la radio et la radio au «transistor»; et déjà la télévision transforme entièrement la façon de vivre. L’automation, les télécommunications pénètrent profondément dans les logis. L’organisation des communications remplace les distances kilométriques par les distances temporelles.

Cet esprit de mobilité et de croissance bouleverse les valeurs du passé et transforme la conception de la vie des hommes. Cette transformation perpétuelle et accélérée crée une nouvelle discipline, une nouvelle esthétique, bref une nouvelle attitude face à l’habitat.

Aujourd’hui encore, les formes et les types de l’habitat et de l’habitation reflètent le passé d’une société disparue; et, très timidement, de nouvelles conceptions de méthode et de responsabilités font apparaître des structures ouvertes et inattendues de l’habitat pour la société du plus grand nombre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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